Dites-le avec de la laine

par
Pierre
Temps de lecture 4 min.

 

L'International Woolmark Prize a été organisé pour la première fois en 1953 afin de promouvoir l'utilisation de la laine dans le monde entier. Karl Lagerfeld et Yves Saint Laurent, âgés à peine à l'époque de 21 et 18 ans, y avaient raflé les premiers prix. Cette année, Woolmark a sélectionné plus de 75 designers en provenance de 62 pays afin de créer une collection. Metro a rencontré un des nominés, Devon Halfnight LeFlufy, et pas seulement en raison de son nom très «laineux» (fluffy signifie «duveteux» en anglais).

Que signifie pour vous votre nomination par Woolmark?

"C'était une surprise pour moi. D'autant plus quand vous savez que des créateurs comme Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld ont utilisé ce prix comme plate-forme pour lancer leur carrière. C'est donc un grand honneur de représenter la Belgique dans ce concours."

Votre nom, Halfnight LeFlufy, a une consonance plutôt exotique, d'où provient-il?

"J'ai une relation d'amour et de haine avec mon nom. Tout le monde retient mon prénom, mais personne n'est capable d'écrire correctement mon nom de famille. Halfnight est le nom de ma mère, LeFlufy vient de mon père. Je suis né à Vancouver et mes racines plongent en Angleterre, en Irlande et au Moyen-Orient. Un de mes ancêtres était probablement d'origine syrienne ou libanaise."

Votre travail est pétri de sous-cultures américaines. D'où vous vient cet intérêt?

"Je suis fasciné par l'«Americana». Ado, j'étais passionné par la culture skate, punk, rock et hiphop. C'était une expression précoce de la façon dont je crée aujourd'hui. J'adorais le snowboard, le hockey et le football américain. Du moment que je bougeais. Tous ces centres d'intérêt ont modelé mon univers esthétique pour en faire ce qu'il est aujourd'hui."

Dans votre dernière collection vous avez utilisé des câbles d'Iphone. Pour quelle raison?

"C'est surtout la façon dont la technologie influence notre culture qui me fascine. Je suis peut-être en théorie un 'Millennial', mais je me sens dix ans plus âgé que cette génération. Comme en fait j'ai grandi sans internet, je me sens plutôt en connexion avec la 'Generation X'. Beaucoup de mes références à la technologie ne sont pas ironiques, mais constituent un commentaire culturel sur ces développements technologiques."

Êtes-vous actif sur les médias sociaux?

"Bizarrement, pas du tout! Je n'ai pas de compte Facebook. Quand je communique avec des gens, je choisis la bonne vieille méthode, le face à face. L'internet et la technologie offrent bien entendu beaucoup de possibilités."

Était-ce difficile de travailler avec de la laine?

"Une des conditions du concours est que la collection doit se composer à 80% de laine mérinos, mais je pense que mon pourcentage est plus élevé. Je n'ai pas trouvé difficile du tout cette restriction de travailler majoritairement avec de la laine. Il y a tellement de choses fascinantes que vous pouvez appliquer à la laine, tant au niveau du tissage, du tricot que des imprimés. La laine est une des plus anciennes fibres textiles. Elle était déjà utilisée à la préhistoire. C'était amusant de l'appliquer à mon esthétique et d'en faire une chose très sophistiquée."

Expliquez-nous.

"Pendant le processus de création de la collection pour Woolmark, j'ai découvert que les toutes dernières technologies textiles pouvaient aussi être appliquées à la laine, ce qui m'a fortement intéressé. Avec une usine de tissage de Como, nous avons expérimenté une nouvelle méthode d'impression digitale de la laine. En outre, avec une usine française, nous avons créé un tissu double face imperméable à base de laine."

Avez-vous des héros ou des sources d'inspiration?

"Je n'ai pas vraiment de muse ou d'idole. Ma femme aime porter mes créations et j'ai de la chance avec mes proches. C'est un groupe unique d'amis et de membres de la famille qui incarnent ensemble ma personnalité."

Votre femme travaille dans le monde de l'art, y a-t-il des courants ou des artistes qui vous inspirent?

"Je trouve la Renaissance très passionnante, mais aussi feu Mike Kelly ou des artistes actuels comme Jon Rafman, Jordan Wolfson, Ed Atkins et Brian Kokoska."

Vous habitez à Anvers et vous présentez vos collections à New York. Où vous sentez-vous chez vous?

"C'est vrai que je voyage beaucoup ces derniers temps. Je produis surtout en Belgique, mon atelier est à Anvers et je présente mes collections à New York. Bien que je sois un expat et que je ne possède pas de passeport belge, je considère ma marque comme un label belge. Mais pour répondre à votre question: je me sens chez moi là où se trouve ma femme."

Pourquoi organisez-vous vos défilés à New York et pas à Paris?

"Bien entendu, les marques belges ont un lien traditionnel avec la semaine de la mode à Paris. Mais cela ne m'intéressait pas vraiment. Je trouve plus intéressant de présenter mon travail à New York. Vos possibilités y sont aussi étendues que vos rêves. Cela me parle!"

Quel est pour vous l'endroit le plus inspirant à Anvers, Paris et New York?

"À Anvers, c'est mon lit. À Paris, je vais régulièrement voir la collection permanente du Centre Pompidou, en particulier l'espace consacré à Otto Dix. À New York, le métro m'inspire, c'est un bon endroit pour réfléchir."

Qui est Devon Halfnight LeFlufy?

Le créateur de mode canadien Devon Halfnight LeFlufy a été diplômé en 2013 de la section mode de l'Antwerpse Academie voor Schone Kunsten. Après un stage chez Maria Cornejo et Walter Van Beiredonck, il a fondé son propre label. Cette année, il figure parmi les nominés européens pour le prix Woolmark. Nous saurons le 28 juin s'il participe à la finale internationale.