Une incroyable collection de vins du 19e siècle découverte dans un château en République tchèque

par
ThomasW
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Comme repêchée dans une épave au fond de l'océan, une extraordinaire collection d'une centaine de bouteilles de vin datant de la fin du XIXe siècle a fait surface dans un château tchèque, suscitant émoi et interrogations sur le sort du trésor. "Château d'Yquem 1896", "Pedro Ximenes 1899", "Porto 1892"... indiquent les plaques à côté des bouteilles rangées sur les étagères d'un simple casier en bois, dans une cave froide et soigneusement fermée à clef au château de Becov-nad-Teplou, qui domine une vallée pittoresque de l'ouest de la République tchèque, entre Karlovy Vary et Plzen.

Une collection unique

"Déguster un vin vieux de plus de vingt ans est déjà une expérience unique, mais en savourer un du XIXe siècle, c'est presque irréel. Ça n'arrive qu'une fois dans la vie", confie le sommelier Jakub Pribyl. Il s'est vu offrir cette opportunité grâce au système Coravin, qui permet d'accéder au vin sans retirer le bouchon et de conserver le contenu restant intact. "Outre son âge, la collection est unique par les circonstances de sa découverte et par sa diversité: il y a différents vins de plusieurs pays, dont la France et l'Espagne. Et le vin est en super état !", se félicite-t-il. Les premières estimations vont jusqu'à 20 millions de couronnes (740.000 euros) pour cette collection longtemps enfouie sous le plancher d'une chapelle, à côté d'un précieux chef-d'œuvre d'orfèvrerie. Mais le prix pourrait fortement augmenter une fois les bouteilles mises aux enchères.

Quelque chose caché quelque part

Soupçonnés de collaboration avec les nazis, les membres de la famille Beaufort-Spontin, propriétaire de Becov-nad-Teplou depuis 1813, ont quitté le château à la hâte en 1945, non sans avoir au préalable placé dans une cachette des trésors qui n'auraient jamais pu franchir inaperçus la ligne de démarcation entre les zones soviétique et américaine. Quatre décennies plus tard, un homme d'affaires américain mandaté par la famille demanda à ce qui était alors l'administration de la Tchécoslovaquie communiste l'autorisation de récupérer, contre la coquette somme de 250.000 dollars, un objet caché quelque part en Bohême à l'insu des autorités. Avide de devises occidentales, Prague dit oui... mais parallèlement, la police engagea une course contre la montre pour retrouver ce "quelque chose" caché "quelque part".

"Les recherches se sont concentrées sur trois familles nobles et leurs anciennes demeures. En novembre 1985, une quinzaine de jours avant la date prévue de la transaction, les policiers munis de détecteurs de métaux se sont annoncés à Becov-nad-Teplou", raconte Tomas Wizovsky, intendant du château. "Ils fouillaient les jardins, mais comme il faisait mauvais, ils se sont déplacés à l'intérieur. Et la première porte à droite, c'est celle de la chapelle", raconte-t-il. Incrédules, les policiers sont tombés sur le reliquaire de Saint-Maur, l'un des deux objets d'orfèvrerie les plus précieux sur le sol tchèque, avec les joyaux de la couronne royale au Château de Prague.

Bouteilles poussiéreuses

La découverte de cette pièce exceptionnelle de l'art médiéval, confectionnée entre 1225 et 1230 dans la province de Namur en Belgique, a éclipsé celle des bouteilles de vin également trouvées dans la cachette. Le reliquaire, constitué d'une âme en bois de chêne et d'un coffre en argent et en cuivre doré, couvert de reliefs, filigranes et gemmes, est censé contenir une phalange de Saint Jean-Baptiste.  "J'imagine que les bouteilles poussiéreuses n'étaient pas trop attirantes. Les policiers les ont mises dans une caisse et personne n'y a plus pensé", dit l'intendant. A moitié oublié, ce vin n'a attiré l'attention qu'à l'occasion de sa récente inscription sur la liste des objets mobiliers du château.

Alors que le changement de bouchons, nécessaire pour prolonger la vie du vin, sera prochainement effectué en France au Château d'Yquem, célèbre domaine viticole de la région de Bordeaux, une polémique va bon train pour ce qui est du sort de la collection. "La différence entre une bouteille de vin et un tableau est qu'un Gauguin restera toujours un Gauguin, tandis que le vin risque de perdre de sa valeur", indique M. Pribyl. "Il serait raisonnable de vendre aux enchères au moins les unités les plus précieuses", estime le sommelier. Mais la décision en revient à l'Etat.

"Les enchères ne sont pas prévues, la dispersion de la collection n'aurait pas de sens, sa valeur consiste dans son ensemble. Les bouteilles resteront là où elles sont et seront accessibles dans des cas exceptionnels, à des experts", rétorque M. Wizovsky, l'intendant du château. La liqueur de figues "Saint-Maur" fabriquée depuis cette saison à Becov-nad-Teplou restera ainsi, semble-t-il, la seule consolation pour les amateurs de boissons.