Molenbeek, trois mois après les attentats de Paris

par
Camille
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Dans la foulée des attentats de Paris du 13 novembre, la commune bruxelloise de Molenbeek avait été pointée du doigt comme berceau des terroristes jihadistes. Pour l'échevine de la Jeunesse et de la Cohésion sociale, Sarah Turine (Ecolo), il est temps d'interroger les réponses apportées à la dégradation de l'image de la commune et de penser à ses habitants.

Trois mois que Molenbeek est devenue aux yeux du monde un foyer du terrorisme international. Quel est l'état d'esprit de la commune aujourd'hui?

«Molenbeek est en train de se relever et de retrouver sa dignité. Ce qui est toujours difficile dans un moment comme celui-là, c'est le sentiment d'injustice face à cette simplification. C'est toute une population qui risque de payer la facture. Les jeunes étaient fort inquiets par rapport à leur avenir de par cette focalisation sur l'image de Molenbeek, comme si leur avenir ne pouvait réussir que si cette image pouvait être redorée.»

Pour cette dégradation de l'image, à qui en voulez-vous?

«Les médias ont le devoir d'informer, c'était donc normal qu'ils tournent leurs caméras vers Molenbeek. Mais certains cherchaient le buzz et ne permettaient pas la nuance. J'en veux aussi à certains politiques et chroniqueurs qui ont instrumentalisé Molenbeek pour permettre de satisfaire les craintes de certains en oubliant que 95.000 personnes étaient touchées par leurs commentaires. Cela renforce la défiance par rapport aux médias et aux politiques. Le fait que les associations mais aussi des paroisses et des mosquées se soient vite mobilisées pour faire quelque chose a donné du courage et de l'espoir. Cela montre bien que Molenbeek comporte une énergie positive, encore aujourd'hui. C'est pour cela que je dis que la commune retrouve sa dignité. Les émotions retombent mais l'énergie est bien là!»

Est-ce que l'émotion retombe également avec le Plan Canal pour renforcer les forces de police dans huit communes, dont Molenbeek?

«On ne va pas cracher sur 50 policiers supplémentaires. Mais ce qui est vicieux, c'est de dire que la lutte contre la radicalisation incombe à la police locale alors que c'est au départ une mission de la police fédérale. Depuis la création des zones de police, le cadre pour Molenbeek est inférieur au prorata de sa population des autres communes. On vient donc de rééquilibrer une injustice du départ et qui permet simplement la réalisation des missions premières de la police locale. Quand le Premier ministre dit lutter contre la radicalisation, il doit envisager tous les pans du problème. M. Jambon assure que la prévention dépend uniquement des régions et des communautés, mais ce n'est pas vrai. On a d'ailleurs un contrat de prévention avec le ministère de l'Intérieur. Si le Premier ministre et son ministre de l'Intérieur ont la responsabilité de la sécurité du pays, ils doivent alors mettre tout sur la table, ce qui n'a pas été fait.»

L'annonce du ministre de la Justice de rémunérer 80 nouveaux imams n'aborde-t-elle pas enfin à la prévention?

«C'est intéressant mais j'aimerais en savoir plus. Il faut stériliser le terreau dont profitent les recruteurs. Et là, on touche aux questions identitaires et socio-économiques. Il faut arrêter de bafouer la dignité de ces jeunes et leur redonner confiance. C'est le travail de l'éducation, de la culture, de la prévention… Ce sont malheureusement toujours les grands oubliés.»

Vous sentez-vous démunie en tant qu'échevine en charge de la cohésion sociale?

«Je ne me sens pas démunie au niveau des idées et de l'énergie sur le terrain. Mais le nombre de forces sur ce terrain est trop limité par rapport aux enjeux. Il faut aussi se questionner sur la manière dont les politiques sont organisées entre l'enseignement, l'aide à la jeunesse, la jeunesse, etc. Les grands oubliés sont les jeunes entre 18 et 25 ans. Hors du cadre scolaire, ils ne disposent pas de structure pour eux (le public des maisons de jeunes est 'limité' aux moins de 18 ans, ndlr). Ils veulent avant tout un job. Sans formation, il n'est pas évident d'en trouver un. Ce qu'on doit mettre en place, c'est un travail d'accompagnement pour leur permettre de se projeter à plus long terme. Pour cette mission de travail de rue, la commune est financée en partie par le fédéral et en partie par la région. Nous essayons aussi de créer un pôle jeunesse pour travailler de manière transversale avec les 15-25 ans, mais ça ne rentre dans aucune case au niveau des subsides.»

N'y a-t-il pas beaucoup de défiance entre les niveaux de pouvoir?

«C'est normal que les pouvoirs subsidiants ne signent pas des chèques en blanc. Mais il faut une meilleure concertation. Pour un enjeu aussi transversal que la lutte contre la radicalisation, qui touche à la sécurité et l'intégrité du territoire, je pense qu'il est de la responsabilité du fédéral d'organiser cette concertation avec les différents niveaux de pouvoir. Par exemple, sur le Plan Canal, la police a été consultée mais pas nous, les acteurs de prévention. Le chef de cabinet de la bourgmestre Françoise Schepmans nous a demandé de rédiger une note qui a été envoyée au fédéral, mais rien n'a été fait.»

Comment jugez-vous votre bourgmestre issue d'un parti présent au niveau fédéral que vous critiquez?

«Je trouve qu'elle a su faire la part des choses en étant bourgmestre à part entière, tout en restant loyale à son Premier ministre. Je pense que ça ne devait pas être facile pour elle. Qu'elle se soit battue pour renforcer les forces de police, c'est très bien. Mais j'attends d'elle aujourd'hui qu'elle reprenne son bâton de pèlerin avec la même conviction pour les enjeux de prévention.»