Au théâtre cette semaine - le 2 février 2016

Ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu
par
Nicolas
Temps de lecture 2 min.

Donner la parole aux vrais acteurs d'une actualité : c'est le défi que s'est proposé le NIMIS Groupe il y a trois ans. Une bande de comédiens et comédiennes, parmi lesquels Jérôme de Falloise et Romain David du Raoul Collectif, sont partis à la rencontre DU migrant, pour révéler derrière ce substantif imprécis et vague suscitant dans l'opinion publique les sentiments les plus divers et les plus extrêmes, la multiplicité, la difficulté et la réalité DES migrants. « Ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu » tente de faire mentir son titre en poursuivant un double objectif scénique : l'un de remettre des faits au centre du débat, l'autre de laisser ces exilés raconter leur voyage. Un périple difficile motivé par la quête de l'Eldorado européen et qui se brise -du moins en partie- sur les récifs administratifs du Sud de l'Europe.

Ph. Véronique Vercheval

Optant pour une dramaturgie prisée par le théâtre documentaire, celle de l'addition de tableaux, qui composent un puzzle faits de chiffres, d'histoires et d'images fortes, le spectacle passe du récit  d'une migrante à l'absurdité d'un interrogatoire à l'Office des Étrangers, en passant par une cartographie poétique et précise des flux. Sur scène, ils sont six à avoir fait le pas, d'avoir quitté leur pays, leurs proches, accompagnés de sept comédiens européens. Leur discours ne manque certainement pas de sensibilité et d'émotion mais on sent que le NIMIS Groupe a voulu opposer à la froideur et l'hostilité d'une forteresse européenne qui se crispe, la raide mais éclairante réalité des chiffres et des parcours individuels. Avec un petit plus : l'humour, une distance qui démontre par l'absurde, sourire en coin donc, les incohérences des politiques menées au niveau européen. FRONTEX, l'agence européenne de contrôle des frontières extérieures, est clairement ciblée. La démonstration du NIMIS n'évoque que fugacement les circonstances qui pousse ces milliers de gens à partir pour nous confronter à nos responsabilités occidentales.

Ph. Véronique Vercheval

Si l'on peut reprocher ce tableau partiel, le résultat scénique est plus que probant, instructif ludique et poétique. Les interprètes sont fabuleux, énergiques, impliqués et ne lâchent jamais la trame de ce spectacle fragmenté. La forme évite de cette manière aussi les pesanteurs, un ton moralisateur, préférant faire confiance à l'intelligence du spectateur. « Ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu »  met un visage sur les statistiques tout en dévoilant celles qui font froid dans le dos. Un spectacle politique et engagé qui ne brade pas l'art mais le fait interagir avec l'actualité et le public lors de rencontres et de débats en fin de représentation.

J'me sens pas belle

Ph. D. R.

Fanny ne croit plus en l'amour toujours. Tout ce qu'elle veut, c'est un coup d'un soir. Ce soir, elle prépare son piège et sa proie n'est autre que Paul, son timide collègue de bureau. Dans son petit appartement, les chausse-trapes sont posées et la victime n'échappera pas aux filets de cette femme en mal de tendresse. Mais le poisson frétille. Le jeune homme, d'abord mal à l'aise avec son air naïf, se révèlera lui aussi intéressé par ce rendez-vous. Et là, c'est l'instigatrice qui se retrouve piégée. Tel(le) est pris(e) qui croyait prendre.

Si le thème de « J'me sens pas belle » des auteurs Martine Fontaine Jeanjean et Bernard Jeanjean n'est pas des plus originaux, le duo Julie Duroisin-Pierre Poucet parvient à insuffler fraîcheur et talent comique. Mignons comme tout, ces deux esseulés sentimentaux expriment tour à tour leurs pulsions. La mise en scène de Miriam Youssef joue sur l'exiguïté de ce petit deux-pièces kitschissime. Le corps-à-corps maladroit des deux protagonistes provoque de beaux fous rires et nous renvoie en miroir, si pas la misère sentimentale, la difficulté des solitaires des grandes villes à trouver équilibre entre aventure et relation.

Rhinocéros

Ph. Nathalie Borlée

On pourrait écrire des lignes et des lignes sur l'actualité de « Rhinocéros » de Ionesco. Elle existe en effet, et son texte simple décrivant le chemin surréaliste d'une épidémie totalitaire nous fait encore frissonner. Arrêtons-nous seulement sur la manière dont la metteuse en scène Christine Delmotte a pris la bête à bras-le-corps. Chorégraphie est le premier mot qui nous vient à l'esprit après le spectacle. Tous les mouvements de la troupe sont extrêmement travaillés, à commencer par la représentation des rhinocéros sur scène –un pari qui rebute souvent les metteurs en scène pour monter la pièce. Pour traduire la propagation de cette « rhinocérite », les comédiens s'adonnent à une danse presque tribale faite de percussions et de clapping (battements sur le corps), comme un troupeau à l'assaut de la ville. Mais la chorégraphie ne s'arrête pas là, les placements des personnages et leur attitude corporelle soulignent aussi les caractères et les spécificités de chacun. Gauthier Jansen, à la fois logicien et collègue grognon de Bérenger, livre une jolie partition sur ce plan.

Cependant, la distribution alléchante (Bruno Pizzutti, Fabrice Rodriguez) ne livre pas toujours toutes ses promesses avec des intensités parfois hésitantes -des voix trop ténues à certains moments, des passages parfois trop enflés-, un manque de justesse qui n'est peut-être du fait de la seule représentation à laquelle nous avons assisté. Enfin, oui, Inoesco et son « Rhnocéros » sont d'une cruciale actualité, où les discours nauséabonds ne peuvent trouver pire propagatrice que l'indifférence des individus, et Bérenger de lui répliquer : « Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu'au bout ! ».

Nicolas Naizy