Philippe Besson : Lisbonne, la nostalgique

par
ThomasW
Temps de lecture 4 min.

Philippe Besson emmène le lecteur dans la saudade portugaise. Avec «Les passants de Lisbonne», l'auteur français s'interroge sur les sentiments liés à la perte d'un être cher. Existe-t-il une hiérarchie à la tristesse? Hélène souffre-t-elle plus que Mathieu?

Vous mettez sur un pied d'égalité la souffrance suite à un décès et celle qui suit une séparation amoureuse.

«Hélène dit à un moment dans le roman qu'il y a des degrés dans la souffrance mais pas de concurrence. Cette phrase résume bien mon livre. Il n'y a pas des souffrances plus honorables que d'autres. La petite fille à qui on a arraché le bras de sa poupée souffre violemment. À cet instant, sa souffrance est immense.»

Mais ne pensez-vous pas qu'il y ait quand même une différence? Diego, l'ex-compagnon de Mathieu, est parti de lui-même tandis que le mari d'Hélène est mort.

«Bien sûr qu'il y a une différence. Mais cela veut-il dire qu'on souffre moins? Mathieu a un disparu accessible, quelqu'un qui est encore vivant mais qui vous est interdit. Est-ce que cela ne vous rendrait pas folle?»

Mais ne seriez-vous pas plus triste s'il était mort?

«Sauf qu'on ne rend pas à Hélène le corps de son mari. Il devient un disparu inaccessible. Elle sait qu'elle l'a perdu mais on ne sait pas lui démontrer. Ce qui est une autre forme de folie. C'est cela qui m'intéressait. Lui a un vivant inaccessible et elle a un mort irréel. Oui, c'est différent mais cela n'empêche pas que la souffrance est très pure. Et peu importe quelle en est la cause.»

Est-ce Lisbonne qui vous a donné l'envie d'écrire une histoire nostalgique ou est-ce cette histoire qui vous a amené à Lisbonne?

«Cela faisait longtemps que j'avais envie d'écrire autour de Lisbonne. C'est une ville que j'aime profondément. Son état d'esprit vous touche plus qu'il ne vous séduit. Lisbonne, c'est la mélancolie, et mon histoire tournait autour de ce sentiment. Tout s'est emboîté quand j'ai eu l'idée d'une catastrophe qui se déroulerait à San Francisco. Je trouve qu'il y a assez bien de ressemblances entre San Francisco et Lisbonne. Elles sont bâties en colline, sont proches d'un océan. La présence de l'eau est extrêmement puissante. C'était donc le bon moment pour écrire une histoire qui se passe dans la capitale portugaise. Assez rapidement, j'ai compris que Lisbonne ne serait pas seulement présente en tant qu'élément géographique mais qu'elle serait un personnage de l'histoire. À la fin du roman, elle l'emporte même sur le reste.»

Pourquoi ne pas avoir parlé d'une catastrophe qui a réellement existé?

«C'est vrai que, hélas, les catastrophes ne manquent pas. Mais je voulais en inventer une pour être encore plus dans la fiction. Puis, quand on est en Californie, on vit sous une menace implicite (celle du grand tremblement de terre ‘The Big One', ndlr). On nous répète qu'une catastrophe va arriver. Mais c'est comme une menace virtuelle, on sait qu'elle existe mais on ne veut pas y croire tant qu'elle ne s'est pas produite. De plus, le côté ‘en direct de l'actualité' m'impressionne. Ce qui m'a toujours touché, c'est de me dire qu'il y a des gens devant leur télé qui voient défiler des images qui les concernent intimement parce qu'ils connaissent quelqu'un qui est sur place. Pour être capable d'écrire sur ce sujet, il fallait que ça ne soit pas un réel qui s'est produit. C'était plus facile pour moi de le réinventer, de le reconstituer.»

Vous traitez la catastrophe non pas dans sa dimension collective mais bien individuelle.

«Une tragédie collective devient abstraite à force d'être collective. Quand on vous dit qu'il y a 200.000 morts dans un tsunami, vous trouvez ça terrible mais 200.000, ça ne vous dit rien d'une certaine manière. Ce qui m'intéresse est de ramener les tragédies collectives à leur dimension individuelle. C'est de rendre hommage, de rendre humain, réel et sensible.»

Pour vous, écrire est une sorte d'échappatoire ?

«Écrire est pour moi l'occasion de continuer le dialogue avec les disparus. Quand on me demande quel est le point commun entre tous mes livres, je me rends compte aujourd'hui qu'il y a en effet des lignes de force, des matrices. L'une d'entre elles est de dialoguer avec les disparus, d'essayer de retrouver des gens que j'ai aimés et qui ne sont plus là, de payer mon tribut aux absents. Chaque livre raconte toujours une histoire autour de l'absence, du manque. Écrire des livres, c'est peut-être réduire la sensation de manque.»

@Maite_Hamouchi

En quelques lignes

Si vous êtes à la recherche d'un roman joyeux, passez votre tour car ce n'est pas ici que vous le trouverez. Philippe Besson nous livre une histoire plutôt nostalgique, lente, au sens positif, et bouleversante, qui prend forme dans la saudade lisbonnaise. Hélène et Mathieu ne se connaissent pas et pourtant, ils vont se livrer l'un à l'autre comme ils ne l'ont jamais fait auparavant. Ils se rencontrent dans un hôtel de Lisbonne et passent des heures à se raconter leur histoire. Hélène a perdu son mari dans une horrible catastrophe naturelle qui a secoué San Francisco. Mathieu se retrouve également seul suite à sa rupture avec Diego. Pour ces deux êtres abandonnés, il n'existe pas de hiérarchie à la tristesse… Avec «Les passants de Lisbonne», Philippe Besson transporte le lecteur dans l'atmosphère mélancolique de la capitale portugaise, une ville que l'on imagine douce, belle mais quelque peu amère…

(mh)

«Les passants de Lisbonne», de Philippe Besson, éditions Julliard, 198 pages, 18€