Replanter des arbres, un business qui rapporte en Amazonie

par
Laura
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Ombre fraîche des grands arbres, humus brun sur le sol et piaillements dans les branchages... Ce fouillis végétal de la commune de Tomé-Açu, au cœur de l'Etat brésilien du Pará, a tout d'une forêt. Il s'agit pourtant d'une parcelle appartenant à Michinori Konagano, pionnier de l'agroforesterie dans la région.

Cette pratique, dont le protocole de Kyoto vante les vertus environnementales car elle permet notamment de stocker du carbone, rapporte à l'agriculteur plusieurs dizaines de milliers d'euros par an. "Quand mon père a acheté ces terres, dans les années 1960, tout le monde coupait la forêt tropicale pour planter du poivre", raconte ce fils d'immigrants japonais débarqué à l'âge de 2 ans dans ces contrées humides, à 200 km de la ville de Belém.

Pour la dictature brésilienne de l'époque, obsédée par une certaine idée du progrès, l'Amazonie était "une terre sans hommes pour des hommes sans terre", un espace vierge à rendre productif. Les arbres ont enrichi les vendeurs de bois puis cédé la place à l'agriculture. Les colons de Tomé-Açu ont coupé les arbres, brûlé les broussailles puis planté, à perte de vue, des rangées vert vif de poivre, ornées de grappes luisantes.

Imiter la nature pour limiter les produits chimiques 

"Le problème c'est qu'une maladie du poivre est apparue dans les années 1970 et que les prix mondiaux ont chuté", se souvient Kozaburo Minishita, un autre producteur de la Camta, la Coopérative agricole de Tomé-Açu. "On s'est donc mis à planter du cacao. Et comme il a besoin d'ombre, on l'a accompagné d'arbres plus hauts." Le vieil homme opte à l'époque pour les feuilles frangées de l'açai, qui fournit des baies énergétiques. Il lui adjoint ensuite le palmier pupunha, apprécié pour ses fruits et son cœur comestible. Certains collègues préfèrent planter le majestueux parica, un arbre de la famille des légumineuses, qui enrichit naturellement le sol en azote.

Peu à peu, les agriculteurs se prennent au jeu des associations d'espèces et s'assurent des récoltes tout au long de l'année. Sur une même parcelle, le bananier et le cupuaçu donnent des fruits, la haute castanheira fournit de l'ombre et les fameuses «noix du Brésil», tandis que l'acajou ou l'andiroba seront vendus pour leur bois. "On imite la nature et on dépense beaucoup moins en pesticides que pour une monoculture", assure Claudio Takahiro, un des cadres de la coopérative. "Les feuilles mortes enrichissent le sol et le protègent, cela nous évite de biner ou de mettre de l'engrais. Et la biodiversité a fait revenir les insectes et les oiseaux, qui détruisent les nuisibles".

Une arme contre la déforestation et les émissions de CO2

Les 150 associés de la coopérative exploitent aujourd'hui 7.000 hectares en agroforesterie. Ils se partagent environ 65 millions de réais de chiffre d'affaires (16 millions d'euros) en vendant des fruits frais, des confitures, de la pulpe ou encore des huiles destinées à l'industrie cosmétique. Par ailleurs, les «forêts productives» de la Camta constituent des puits à carbone: ils stockent de la matière organique et contribuent donc à limiter l'effet de serre.

Dans la coopérative voisine de Santa Luzia, les 23 familles se sont elles aussi converties à l'agroforesterie. Les oiseaux et animaux ont refait leur apparition dans les parcelles, le niveau des ruisseaux est remonté et une fraîcheur ombragée a remplacé l'aridité des anciennes plantations de poivre. "Le climat se dérègle à cause des arbres que nous avons coupés. Les replanter et gagner de l'argent tout en protégeant l'environnement me rend très heureux", sourit Marcos da Silva, technicien agricole.

L'Etat du Pará reste malgré ces efforts le champion brésilien de la déforestation. Entre août 2003 et juillet 2004, 8.800 km2 de forêt y ont été anéantis, soit 7 fois la superficie de New York. Dix ans plus tard, c'est encore 1.887 km2 qui y ont disparu en une année, sur plus de 5.000 km2 de forêt amazonienne détruits au total pendant la même période, d'après l'Institut national (brésilien) de recherches spatiales, qui mesure l'étendue de la déforestation grâce à des satellites.