Eva Ionesco, la muse de Simon Liberati

par
Laura
Temps de lecture 5 min.

 «Eva» est un des romans phares de la rentrée littéraire. Il a été largement salué par la critique lors de sa sortie en août dernier et a connu un énorme retentissement médiatique suite à une plainte déposée par Irina Ionesco, la mère d'Eva. Dans ce roman sulfureux, l'auteur, Simon Liberati, consacre un éloge rempli d'amour et de passion à sa muse, Eva Ionesco, qu'il a rencontrée pour la première fois quand elle n'avait que 13 ans.

Votre roman raconte avant tout une belle histoire d'amour. Une histoire d'un amour passionnel avec tous ses avantages et ses inconvénients.

«En effet, je pense que nous sommes deux personnalités passionnées. Et cela se ressent dans le livre. Mais heureusement, notre histoire ne se résume pas à cela, ni à ce roman, qui n'est finalement qu'un roman.»

Cette histoire d'amour entre Eva et vous, la voyez-vous comme une deuxième chance?

«À l'époque, je n'attendais rien. Je me fichais de tout ce qu'il pouvait m'arriver. La seule chose qui comptait, c'était la littérature. Je ne m'attendais pas à retomber amoureux. Le livre, c'est ça: l'amour après 50 ans. C'est ce qu'il nous est arrivé!»

Tout a été vite entre vous. Vous vous êtes vite mariés…

«J'ai écrit le livre très vite… Je pense que nous sommes pressés par le temps. Nous n'en avons plus beaucoup pour vivre ensemble. Nous n'avons plus 30 ans. Par ailleurs, quand je la rencontre, j'étais à un tel état d'alcoolisme et de défonce que je pouvais légitimement m'inquiéter. Mais on va peut-être finalement vivre jusqu'à 100 ans (rires).»

Vous vous êtes vus la première fois quand elle avait 13 ans. Vous avez côtoyé les mêmes endroits. Tout s'est dessiné comme si vous étiez faits pour terminer ensemble.

«Exactement! Si Eva n'avait pas attendu des années pour lire ‘Anthologie des apparitions' (dans lequel l'auteur s'est inspiré d'Eva pour créer le personnage principal, ndlr) et si elle avait pris contact avec moi avant, je pense que ça aurait été une très mauvaise chose. On n'était pas prêts à l'époque. Je n'avais pas envie de cela. Nous nous sommes rencontrés au seul moment où c'était bon. Le destin a été bienveillant.»

Comment Eva Ionesco a-t-elle pris ce livre?

«Elle l'a bien et mal pris à la fois. C'est-à-dire qu'au départ, elle ne voulait pas que j'écrive sur elle. Mais on a fini par trouver un accord. Elle voulait que j'écrive avec elle pour le cinéma. Moi, je ne me voyais pas écrire pour le moment sur quelqu'un d'autre qu'elle. C'était trop tentant, dans une certaine mesure, d'écrire sur elle. Je me suis senti forcé par le destin et elle a fini par l'accepter. Elle m'a ensuite donné un certain nombre de règles et on a travaillé sous accord mutuel.»

A-t-elle apprécié ce livre?

«Tout ce qui a été imprimé par Stock a été lu et relu par Eva. Elle ne voulait pas que le livre paraisse sans qu'elle n'ait eu un droit de regard dessus. Ce qui est normal. Elle a lu le manuscrit. Elle l'a commenté et m'a demandé de retirer quelques détails par-ci par-là qui la gênaient pour des raisons diverses et variées. Sinon, je ne pense pas qu'elle aime entièrement ce livre. C'est un roman qui la dérange parce que, comme toute œuvre qu'on écrit sur vous, c'est gênant. C'est toujours bizarre de voir comment quelqu'un d'autre vous voit. Mais elle me dit souvent: ‘Si ce n'était pas moi qui étais en cause, je trouverais ce livre très beau' (rires).»

Dans ce livre, vous n'écrivez pas seulement sur votre histoire d'amour mais également sur le passé d'Eva. Pourquoi ne pas vous être cantonné à votre histoire mutuelle?

«C'est une bonne question. Vous êtes perspicace car c'est ce qu'elle m'a reproché. Eva trouvait que j'avais consacré trop de place dans mon livre à ses relations avec Irina Ionesco, sa mère. D'ailleurs, quand l'affaire a éclaté (Irina Ionesco a assigné en référé l'écrivain pour des passages de son livre. Elle a été déboutée, ndlr), ce n'était pour elle que la preuve qu'elle avait eu raison. Je crois que je n'aurais pas pu faire l'économie de cela. Quand on écrit sur quelqu'un qui a été représenté, qui a été l'objet d'un travail comme elle a été -on a même parlé de pédopornographie-, on ne peut pas ne pas le mentionner. C'est une partie douloureuse de sa vie. J'ai été en quelque sorte forcé d'évoquer ce sujet. Si je l'avais évité, je pense que je n'aurais pas été jusqu'au fond de moi-même. La première question que je me suis posée était de savoir pourquoi je voulais représenter Eva, dans quel but. Était-ce pour l'amour ou aussi parce que je suis un peu fétichiste?»

Mais était-il possible, selon vous, de parler d'Eva, de ce qu'elle est, sans revenir sur son enfance et les photographies de sa mère?

«Oui. Mais ce n'est pas la voie que j'ai choisie. Le livre est aujourd'hui ce qu'il est. Une fois que tout cet événement sera retombé, le livre, lui, restera. Je ne crois pas avoir cherché les faits mais si je devais la scruter pour écrire ce livre, je devais voir ce qu'elle était devenue, comment elle avait réagi par rapport à tout ce qu'elle avait vécu. Dans tous les cas, ça va me corriger pour les prochains livres.»

En quelques lignes

Tendre, délicat, passionné, intime… tous des qualificatifs qui conviennent parfaitement à «Eva», le nouveau roman de Simon Liberati. Comme il l'écrit en quatrième de couverture, ce livre est un éloge. Simon Liberati y décrit tendrement sa belle, sa muse, sous toutes ses coutures, de leur première rencontre à leur vie actuelle, tout en passant par l'enfance d'Eva Ionesco, ce qui a même valu à l'auteur un procès, qu'il a finalement gagné. Eva, cette petite fille photographiée par sa mère de manière érotique, est devenue une femme plurielle, excessive, provocatrice, blessée, aimée. «Eva», c'est avant tout un portrait magnifique qu'un amant livre à la femme qu'il aime. Toutes les femmes aimeraient sans doute être l'objet d'un tel éloge. Toutefois, on regrettera les nombreux passages du livre sur l'enfance d'Eva Ionesco et sur les photographies que sa mère prenait d'elle enfant. Ces passages étaient-ils vraiment nécessaires? Nous vous laissons en juger… Simon Liberati, de part une écriture poétique qui lui est propre, transportera, dans tous les cas, le lecteur dans l'histoire d'un amour passionnel entre deux êtres liés l'un à l'autre depuis, peut-être, toujours…

«Eva», de Simon Liberati, éditions Stock, 288 pages, 19,50€