‘Le Tout Nouveau Testament', la délivrance de Jaco Van Dormael

par
Laura
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Jaco Van Dormael a connu l'enfer au cours des sept dernières années. Son frère Pierre, qui était aussi son compositeur attitré, est mort d'un cancer, son grand projet ‘Mr. Nobody' –le film belge le plus cher de tous les temps– était une catastrophe financière. Mais 2015 est l'année de la délivrance: le nouveau film de Van Dormael ‘Le Tout Nouveau Testament' a été accueilli par un tonnerre d'applaudissements à Cannes. Un miracle des plus bienvenus, même si Dieu –s'il existe– n'a pas dû être content de la façon dont il est représenté dans le film: comme un salaud qui, de son petit appartement bruxellois, harcèle les humains.

Dieu qui, derrière son ordinateur, imagine les catastrophes les plus horribles et les lois les plus détestables: cela m'a tout de suite fait penser à un scénariste de film. Votre job ressemble-t-il à celui de Dieu?

Jaco Van Dormael: "Ha! Un scénariste crée en effet des personnages et leur cause des problèmes. Et Gilles Deleuze disait déjà: ‘Ce que le cinéma et la religion ont en commun, c'est que tous les deux vous font croire que la vie a du sens'.(rires)»

Vous-même n'êtes pas croyant?

"Non. Peut-être que je n'aurais pas fait ce film autrement. (rires) Mais même sans être croyant, je trouve la Bible intéressante et bien écrite. C'est la raison pour laquelle mon coscénariste Thomas Gunzig et moi l'avons utilisée pour faire quelque chose de totalement différent. Nous sommes partis de quelques questions ‘Et si': ‘Et si Dieu existait? Et s'il vivait à Bruxelles? Et s'il était un type épouvantable, qui avait une fille qui le détestait?'"

‘Le Tout Nouveau Testament' est une comédie, mais traduit en même temps une colère, une incompréhension de toute la souffrance qui existe dans le monde.

"J'ai reçu une éducation catholique, mais je me suis toujours posé beaucoup de questions au sujet de Dieu. Pourquoi Spiderman peut-il sauver des gens, alors que Dieu laisse des enfants mourir de leucémie? Et pourquoi demande-t-il à un père de tuer son fils? Pourquoi donc toutes ces épreuves?"

Vous avez été très éprouvé vous-même ces dernières années. Le décès de votre frère a-t-il joué un rôle dans la conception de ce film?

"Quand quelqu'un qui vous est très cher meurt, chaque minute va compter tout d'un coup. Ce sentiment aura sans doute joué un rôle lorsque nous avons eu l'idée d'Ea, la fille de Dieu, qui révèle à tous les humains de la Terre leurs dates de décès. Les gens vont ainsi réaliser tout d'un coup que leur temps ici sur Terre n'est pas illimité. Et en prenant conscience de cela, ils retrouvent l'envie de vivre: ils vont chérir chaque instant, goûter et sentir chaque seconde. Ce sentiment, j'ai aussi essayé de le transposer dans la structure du film."

Que voulez-vous dire?

"Je ne suis pas le schéma traditionnel où le sens est à la fin. Avec la plupart des films, le spectateur passe son temps à attendre ce qui doit encore venir. ‘Le Tout Nouveau Testament' fonctionne autrement: de par la structure épisodique, ce qui se passe maintenant est le plus important. C'est l'image que vous pouvez voir à cet instant-là, la minute qui se passe sous vos yeux. Donc, même la structure du film dit: n'attendez pas la fin, mais appréciez l'instant présent."

Le film a été accueilli à Cannes avec un formidable enthousiasme. Étiez-vous surpris?

"C'est toujours surprenant de voir comment le public réagit à un film. Cela peut en effet beaucoup varier. En tant que réalisateur, vous êtes un peu comme un chef-coq: des fois, votre restaurant est plein à craquer, d'autres fois personne ne vient. Et cela n'est pas nécessairement révélateur de la qualité du plat."

Vous faites référence à votre film précédent ‘Mr. Nobody', qui était très cher mais n'a pas rempli les salles. Cette catastrophe financière a-t-elle eu des conséquences pour vous?

"Économiquement parlant, ‘Mr. Nobody' est peut-être mon plus grand échec, mais artistiquement, je trouve que c'est ma plus grande réussite. Mais pour financer votre prochain film, ce sont bien sûr les chiffres qui comptent. C'était donc beaucoup plus difficile cette fois. C'est pourquoi j'ai finalement produit moi-même ‘Le Tout Nouveau Testament'. Ainsi au moins, il n'y a que moi qui aurai des problèmes si les résultats ne sont pas à la hauteur."

Il faut dire que vous faites des films très coûteux, selon les normes belges.

"C'est exact. Ce film a coûté 8,5 millions €. Nettement moins que ‘Mr. Nobody', mais toujours énormément d'argent. Il y a tout simplement quelque chose dans ma façon d'écrire qui, à chaque fois, fait grimper les coûts. J'imagine trop de décors et de personnages différents, et j'inclus régulièrement de petites fantaisies. Dans le film, celles-ci ne durent peut-être que quelques secondes, mais elles nécessitent souvent toute une journée de tournage."

Outre Benoît Poelvoorde, Catherine Deneuve, François Damiens et beaucoup d'autres, il y a aussi Pascal Duquenne, l'acteur principal trisomique du ‘Huitième Jour', qui a un petit rôle à nouveau. Comment se fait-il qu'on puisse le voir dans tous vos films?

"Après chaque film, il me demande illico: «Et qu'est-ce que je peux jouer la prochaine fois?»(rires). Donc, quand je me remets à écrire, je pense toujours à lui aussi. Pascal est un grand ami, j'ai beaucoup appris avec lui. Professionnellement aussi. Il ne fait bien que ce qu'il aime faire. Je l'ai tout de suite remarqué quand nous avons fait ‘Le Huitième Jour': si une scène ne lui plaisait pas, il était impossible de le motiver. Mais s'il s'amusait, il était meilleur que la plus grande star de cinéma. Depuis, j'essaie de procéder comme lui. La vie est courte, je ne veux faire que des choses que j'aime faire."