Marek Halter présente deux nouveaux livres

par
Laura
Temps de lecture 8 min.

Après Khadija, Marek Hakter présente Fatima, la fille de Muhammad. Celle qui dit au prophète: «Nous pouvons». Loin des idées reçues, ce roman montre une nouvelle fois l'importance de la femme dans la naissance de l'islam.

Comment arrivez-vous à jongler entre la véracité de l'histoire et l'écriture romanesque?

«Il faut bien connaître l'histoire, les personnages et savoir reconstituer l'environnement. Ensuite, je lâche ces personnages dans l'environnement. Vous vous rendez compte qu'ils ne peuvent pas agir autrement. Dans le Coran, nous ne savons pas comment les personnages se sont rencontrés mais nous savons qu'ils ont existé et qu'ils se sont rencontrés. Après, il y a la liberté de l'écrivain. Par exemple, il faut imaginer Fatima. Le Coran ne nous donne pas de description. Je la voyais plutôt maigre. Par contre, pour Aïcha, on sait deux choses: elle était rousse et elle avait une peau très blanche. Ce qui était très rare dans la péninsule arabique. Elle raconte elle-même qu'elle se souvient de la préparation de son mariage dès l'âge de six ans et qu'elle a eu son premier rapport avec Muhammad à l'âge de neuf ans.»

Par contre, dans votre livre, on a l'impression qu'elle a son premier rapport plus tard.

«J'ai un peu joué sur les âges. À l'époque, il était difficile de connaître exactement son âge. Par exemple, j'ai rajeuni Khadija. Le Coran dit qu'il y avait 15 ans de différence entre elle et Muhammad. Moi, je dis dix ans parce que même avec l'aide d'Allah, il lui aurait été impossible d'avoir tous ses enfants à cet âge-là. Mais personne ne m'en veut. J'en ai même discuté avec le mufti de l'université al-Azhar au Caire. Je fais très attention.»

Avez-vous eu des retours des musulmans sur le premier volet de votre trilogie consacré à Khadija?

«Je n'ai pas été critiqué. J'avais eu, au début, quelques menaces, plutôt drôles. Mais rien de grave. En revanche, pour Khadija, j'ai perdu un certain nombre de mes lecteurs juifs. Je pensais qu'en racontant l'histoire de l'islam, moi juif, ils apprendraient quelque chose. Mais ça ne les intéresse pas. Je pense qu'à partir du moment où l'on s'intéresse à l'autre, on ne peut plus l'haïr. C'est l'ignorance qui suscite la haine. Par contre, j'ai gagné des lecteurs, surtout des lectrices, d'origine musulmane.»

Dans ce deuxième volet, vous montrez que Fatima était une femme libre, cavalière et instruite.

«C'est fait exprès. Aujourd'hui, la religion musulmane est extrêmement misogyne, dans la pratique et non dans les écrits. Je partais d'un principe simple: si je venais leur donner des leçons au nom du droit de la femme, ça ne marcherait pas. Je devais donc parler de leurs propres héroïnes. Sans Khadija, comme le disait Muhammad, rien n'aurait été possible. Il y a Fatima dont se réclament les chiites et Aïcha dont se réclament les sunnites. Voilà trois femmes qui sont à l'origine de tout. C'est même Aïcha qui écrira de nombreux hadiths, qui sont la charia. Or, ceux qui se réclament de la charia condamnent la femme...»

Khadija a dit: «Je crois». Fatima: «Nous pouvons». Que dira Aïcha dans votre troisième et dernier volet?

«Aïcha introduit l'islam dans l'histoire. Pour comprendre la naissance de l'islam, il faut lire les évangiles, la Bible et la Torah. Aïcha dit qu'elle va faire de l'islam une idéologie. Elle dit qu'elle va prendre Muhammad comme prototype et prendre tout ce qu'il a fait dans sa vie pour en faire quelque chose d'exemplaire. C'est elle qui régule.»

Vous publiez un deuxième livre, «Réconciliez-vous!», dans lequel vous lancez un cri et un appel à la réconciliation. Pourquoi avoir voulu écrire ce livre?

«J'ai eu envie d'écrire ce livre suite à l'événement de Sarcelles en juillet 2014 (lorsque des violences ciblant la communauté juive se sont déroulées en marge d'une manifestation contre l'intervention militaire d'Israël à Gaza, ndlr), durant lequel j'ai mobilisé mes amis imams. Nous sommes arrivés devant la synagogue pour la protéger et nous avons chanté la Marseillaise. Les manifestants étaient surpris. J'ai entendu ‘Mort aux Juifs', la première fois que j'entendais ça en France. J'ai décidé de pousser un cri. Et au moment où je réalise les épreuves de ce livre, j'apprends le massacre de Charlie Hebdo…»

Pensez-vous que les personnes qui ne prônent pas la réconciliation vont lire votre livre?

«Ils le pourraient mais ce n'est pas directement à eux que je m'adresse. Il y a, dans le monde, 1,2 ou 1,3 milliard de musulmans, 2 milliards de chrétiens, 14 millions de juifs, il y aussi des hindous, des bouddhistes, etc. Je m'adresse à tous. Selon moi, ceux qui doivent avant tout combattre le jihad, ce sont mes amis les musulmans. Ils sont six millions en France, c'est eux que je veux voir descendre dans la rue avec moi et dire: ‘Allah est avec nous, pas avec eux'!»

Il y a déjà eu la campagne ‘Pas en mon nom'.

«Ça a fait des millions de lecteurs! Ça prouve que j'ai raison. Je vais dans le même sens. Il faut éviter la guerre des religions dans laquelle les jihadistes veulent nous entraîner. Vous avez vu ce qui s'est passé au Mali suite au dernier numéro de Charlie Hebdo (celui des survivants, ndlr): ils n'ont pas brûlé les consulats de France mais les églises. Pourtant, les journalistes de Charlie Hebdo étaient des anti-calotins. Mais, au Mali, ils ont essayé de provoquer la chrétienté. Imaginez que le pape François lance une croisade comme l'avait fait le pape Urbain2 en 1096. De cette manière, les jihadistes auraient les milliards de musulmans avec eux.»

Dans ce livre, vous vous adressez aux musulmans, juifs et chrétiens de France. Vous leur dites: «réconciliez-vous» et «le temps urge». Nous en sommes arrivés à ce point en Occident?

«Bonne question. Quand j'ai envoyé ce petit livre au Grand Rabbin de France Haïm Korsia, il m'a demandé pourquoi. Il m'a dit qu'il n'était fâché avec personne. Je lui ai répondu que lui non mais les autres étaient fâchés avec lui. Il n'a pas pensé aux autres, tout grand rabbin qu'il est. Il y a des millions d'individus qui voient en chaque juif un assassin de Palestiniens. Il faut qu'on se réconcilie, il ne faut pas d'autres manifestations comme à Sarcelles. Si cela continue, demain il y aura ‘Mort aux musulmans'... Non! Il faut faire vite. Comme nous n'avons rien à proposer, ce que les autres (les jihadistes, ndlr) proposent peut vite se propager. C'est comme une pandémie.»

Comment expliquez-vous cette ‘pandémie'?

«Les gens doivent s'accrocher à quelque chose. Nos parents et grands-parents avaient des espoirs. Ils voulaient changer le monde. On allait vers ‘des lendemains qui chantent'. Qui aujourd'hui peut dire cela? Ça ferait rire tout le monde. Par ailleurs, il y a la quête de l'aventure. Qui ne rêve pas de vivre une aventure? Avant, il y avait les révolutions, la guerre d'Espagne, etc. Aujourd'hui, la seule aventure qui est proposée est celle des jihadistes. Les mômes des quartiers qui se trouvent là-bas croient qu'ils sont des supermans! Aujourd'hui, on regarde les migrants se noyer en Méditerranée et personne ne fait rien. Pourtant, ce sont des musulmans et ils crèvent par centaine. Peut-être que si quelqu'un avait proposé de louer 20 ou 30 bateaux pour aller sauver leurs frères, ça aurait été une nouvelle aventure. Mais personne ne le propose! Et maintenant que je vous parle, je me rends compte qu'en fait, c'est une bonne idée! (rires)»

Une solution que vous proposez est de mettre plus de femmes au pouvoir.

«Je le pense. On le voit même dans l'histoire: quand une femme fait la grève, elle obtient ce qu'elle veut. Aïcha obtient les premières lois en faveur des femmes en faisant grève envers son mari. Les femmes peuvent tout obtenir. Regardez Malala, elle a reçu le prix Nobel de la Paix. Ce qu'elle exigeait était que les jeunes pakistanaises aient le droit d'aller à l'école. Elle est devenue l'héroïne de plein de musulmanes à travers le monde. De plus, je pense que la femme a plus le sens de vie ou de mort que l'homme. Peut-être parce qu'elle donne la vie.»

Vous proposez également une résolution au conflit israélo-palestinien à travers une confédération jordano-israélo-palestienne. Toutefois, vous dénoncez l'immobilisme de l'Occident.

«L'Occident a perdu son génie d'imagination. Il y a vingt ans la paix aurait pu avoir lieu avec la création de deux états côte à côte. Nous avions signé les accords d'Oslo. Mais le monde a changé. Avant, ils étaient deux, maintenant ils sont trois: on a ajouté dieu. Le Hamas ne parle plus qu'au nom de Dieu et le gouvernement de Netanyahu est une coalition avec des gens qui ne parlent qu'au nom de Dieu. Cela n'aide pas au compromis.»

En quelques lignes

Marek Halter nous présente deux livres: un roman consacré à Fatima, la fille de Muhammad, et un document suite aux événements survenus à Sarcelles en 2014 et à Charlie Hebdo en janvier dernier. Le premier est la suite de sa trilogie consacrée aux femmes de l'islam. Il y décrit la vie de Fatima, cette femme rebelle, instruite et cavalière qui avait promis à sa mère mourante, Khadija (voir le premier volet), de veiller sur son père, le Messager d'Allah. Elle déjouera une tentative d'assassinat et l'accompagnera dans sa longue marche vers Yatrib, future Médine. Amour, sensualité, intrigues, complots, trahisons… ce deuxième tome possède une nouvelle fois tous les ingrédients d'un roman riche en rebondissements. Dans son second livre, Marek Halter pousse un cri. Il appelle les musulmans, les juifs et les chrétiens à la réconciliation. L'auteur, juif, explique, dès les premières pages, qu'un juif d'Israël est Israélien, et qu'un juif de France est Français, de même qu'un musulman de France n'est pas Marocain, Tunisien ou Algérien mais bien Français. Il est, selon lui, urgent de se réconcilier et il explique pourquoi dans cet intéressant ouvrage.

«Les femmes de l'islam: Fatima», de Marek Halter, éditions Robert Laffont, 352 pages, 21,50€

«Réconciliez-vous», de Marek Halter, éditions Robert Laffon, 64 pages, 3€

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