Sur les planches cette semaine - 11 février 2015

par
Nicolas
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Metro jette un regard critique sur les spectacles à voir dans nos théâtres.

Le Réserviste 

Après en avoir proposé une version courte il y a deux ans, Antoine Laubin et son auteur-complice Thomas Depryck proposent l'intégralité de ce texte qui pose un regard sacrément original sur le chômage. Le héros, dépersonnalisé par les voix des trois comédiens (Baptiste Sornin, Renaud Van Camp et Angèle Baux), décide de se mettre en marge du marché de l'emploi. Convaincu que le "système" veut absolument éviter le plein-emploi pour mieux faire pression sur les salaires, il devient "réserviste", tel un militaire en attente de mission, attendant qu'un emploi le rencontre. Ce postulat cocasse, ode à la paresse mais aussi dénonciateur des travers modernes (aides à l'emploi, administrations kafkaiennes,...), trouve son dynamisme dans une mise en scène en escalier, face à laquelle le spectateur est invité à s'effondrer dans des poufs. Le choix pour cette version longue de faire intervenir en fin de représentation un spécialiste issu d'un secteur des sciences humaines (sociologie, économie, droit, etc.) n'est pas inintéressante même si le rythme du spectacle s'en trouve finalement fortement coupé selon le talent oratoire de l'invité. On retient toutefois une belle énergie et un texte résolument contemporain et un rien générationnel.

Gilles et la Nuit

Qui est cet homme profondément nerveux faisant les cent pas sur ce plateau nu revenant sans cesse boire à la cruche ces "raisons amères qui lui brûlent l'estomac"? C'est Gilles de Rais (1404-1440), compagnon d'armes de Jeanne d'Arc durant la Guerre de Cent Ans. Convoqué devant un tribunal ecclésiastique pour expliquer des amours interdites et violentes, l'homme de guerre, à bout, s'impose en procureur de ses propres juges. L'atmosphère mystique de ce texte d'Hugo Claus, on ose entrapercevoir un message pacifiste, tant cette main porteuse de la loi divine par le passé se sent trahie par le procès que lui imposent ses guides spirituels. Profondément habité par ce personnage brutal, Itsik Elbaz -à l'origine du projet- excelle à exprimer ses frayeurs et ses obsessions. En fantôme de la Pucelle, Muriel Legrand apporte par son chant a cappella l'apaisement nécessaire aux tourments de cet homme. Quant à la mise en scène de Christophe Sermet ancrée dans cet hangar brut anderlechtois, elle crée une ambiance de procès fantasmé là où Claus développe une atmosphère mystique, grâce à un travail artistique technique minutieux de Caspar Langhoff et Octavie Piéron. 

M'appelle Mohammed Ali

Mohammed Ali est à la veille de son combat du siècle. À Kinshasa en 1974 ,l'homme, alors au faite de sa carrière, doit affronter George Foreman. Plus qu'un énième match de boxe, l'homme devenu le symbole du black-power va prouver au monde ce dont est capable "la bête en cage". Plus qu'une histoire sportive, c'est l'Afrique qui est ici en jeu, son identité et son humanité. En passant de sa propre voix à celle du cogneur, Étienne Minoungou offre une performance formidable. Passant de l'enfance de Cassius Clay à son refus de participation au conflit vietnamien, le texte logorrhéique de l'auteur congolais Dieudonné Niangouna envoie des uppercuts à la bienpensance et met au tapis le regard parfois encore paternaliste de l'ex-colonisateur sur l'ex-colonisé. Ses mots se digèrent grâce au jeu intense de l'acteur et à une mise en jeu aidée de quelques accessoires diablement efficace de Jean Hamado Tiemtore. Si on ressort quasi K.O. de la pièce -tant on s'essouffle au côté de l'artiste-, on célèbre toutefois comme une belle victoire cet heure vingt passée en sa compagnie.

Nicolas Naizy

Crédits: Alice Piemme / Lorenzo Chiandotto / D. R.